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20/12/2013

Noël, nouvel an et l'esprit sain

"Joyeux Noël et bonne année" disons-nous un peu mécaniquement ces jours-ci. Revoilà ces fêtes de fin d'année avec leur cortège de gueuletons et d'enthousiasmes légèrement factices. Une fête en larmes*, c'est le beau titre d'un livre de Jean d'Ormesson qui voit ainsi la vie. Mais pour beaucoup de nos contemporains, il y a plus de larmes que de fête et, dans nos sociétés, de plus en plus de fêtes pour mieux cacher les larmes.

«Je n'ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur» disait Winston Churchill le 13 mai 1940 devant la Chambre des communes. La guerre économique qui fait rage, n'offre rien de bien différent, surtout pour les hommes de troupe, la piétaille qu'on piétine. Et Flaubert a sans doute raison quand il écrit qu'«Etre bête, égoïste, et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux».

Bêtes et disciplinés, nous allons au top départ faire la fête, nous en mettre plein la lampe, nous souhaiter une bonne santé et nous soucier de la terre entière comme d'une guigne. Avec les "andouilles" et les "truffes", les "dindes" de Noël "glouglouteront" et les "oies" gavées "criailleront" alors que des millions esseulés, délaissés, des milliards ne sont pas à la fête dans le monde et n'ont dans leur "vallée de larmes", leur vie terrestre, même pas l'espoir d'une autre vie.

«Tant que tu seras heureux, tu compteras beaucoup d'amis. Si le ciel se couvre de nuages, tu seras seul» (Donec eris felix, multos numerabis amicos. Tempora si fuerint nubila, solus eris). Ovide, exilé et abandonné, dit sa détresse dans ces vers tirés de son recueil Tristes, et décrit par là même celle de ceux qui dans leur propre pays sont comme exilés et abandonnés à leur triste sort. «Malheur à l'homme seul !» (Vae soli ! - l'Ecclésiaste).

Comment avoir goût à la fête ? Ovide disait aussi dans un aphorisme de L'Art d'aimer : «On ne désire pas ce qu'on ne connaît pas» (Ignoti nulla cupido), à savoir traduit Le Petit Larousse : "L'indifférence naît de causes diverses, le plus souvent de l'ignorance". Et Victor Hugo dans L'Homme qui rit interpellait la Chambre des lords et tous les contents d'eux : «Si vous saviez ce qui se passe, aucun de vous n'oserait être heureux».

Mais combien préfèrent ne pas savoir "ce qui se passe", ou le savent et feignent de l'ignorer, ou encore le sortent de leur esprit pour ne pas gâcher la fête ! Pourtant la santé de l'esprit passe par là, tout aussi souhaitable que la santé du corps. «Une âme saine dans un corps sain» (Mens sana in corpore sano), voilà tout ce que l'homme vraiment sage demande au ciel, selon une maxime de Juvénal dans Satires. "Bonne santé."

* Éditions Robert Laffont

15/10/2013

"Fermé les dimanches et jours fériés" pour s'ouvrir

Pouvoir travailler le dimanche serait donc la dernière nouvelle liberté.

Ô Liberté, que de réformes on commet en ton nom !

Mais si l’on en croit le dictionnaire, la réforme, c’est un changement en mieux, en vue d’une amélioration. Or, est-on si sûr qu’il s’agit là d’un mieux ?

Jean-Paul II dans son encyclique sociale Centesimus annus (Éditions Mediaspaul), en référence au centième anniversaire de l’encyclique du pape Léon XIII Rerum novarum, peut nous guider peut-être dans cette recherche du mieux.

« Il n’est pas mauvais de vouloir vivre mieux, écrivait-il, mais ce qui est mauvais, c’est le style de vie qui prétend être meilleur quand il est orienté vers l’avoir et non vers l’être, et quand on veut avoir plus, non pour être plus mais pour consommer l’existence avec une jouissance qui est à elle-même sa fin. Il est donc nécessaire de s’employer à modeler un style de vie dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune. »

Ainsi, de même que "Le mieux est l’ennemi du bien", peut-être que le mieux-être est l’ennemi du bien-être, pour paraphraser le philosophe Ivan Illich. Ou pour le dire autrement : surabondance de biens nuit. A chercher à avoir toujours plus, il se pourrait qu’on en arrive à être moins bien.

Le dimanche est une pause, un soupir, une respiration dans la frénésie organisée.

Car les sociétés contemporaines dites développées acculent l’être humain à courir après "les biens de ce monde" pour les accumuler à plaisir, et à courir après les plaisirs pour "se changer les idées", négligeant les biens de nature intellectuelle, spirituelle, esthétique...

Le dimanche est l’occasion de revenir à ces biens qui permettent de se dépasser par la pensée plutôt que de passer par la dépense. La gratuité, voilà ce qui sans doute donne de la grandeur au dimanche. Cette sorte aussi d’inutilité au sens que l’emploie Jean d’Ormesson dans son ouvrage intitulé C’était bien (Éditions Gallimard) : « les sentiments, les passions, les idées vagabondes, l’imagination créatrice, la liberté des mots. Rire et boire avec d’autres, rêver, dessiner, peindre, chanter devant un feu, faire de la musique et l’écouter, siffler avec les oiseaux, composer des motets, des messes, des opéras, raconter des histoires, écrire et lire des épopées, des odes, des fables, des tragédies. Ou regarder en silence les arbres qui changent et restent les mêmes et les nuages dans le ciel. Ou demeurer immobile, loin de soi-même et de tout, à bénir on ne sait quoi. Cultiver de l’inutile, au moins en apparence. Il n’est pas tout à fait exclu que l’inutile soit plus nécessaire que l’utile. Au bonheur, en tout cas ».

Mais il y a plus grave encore. Et c’est Georges Bernanos qui le soulignait : la civilisation moderne bannit toute vie intérieure, c’est-à-dire toute vie de l’esprit, toute vie morale, spirituelle…, toute conscience. En étant dévoreuse de temps, de calme, de solitude choisie… ; et parce que la vie intérieure est un obstacle aux influences extérieures et à tous les trafics, commerces, corruptions.

Dans son livre La Liberté pour quoi faire ? (Éditions Gallimard), Bernanos disait également que la « civilisation technique » ou « civilisation des machines » n’est en fait qu’« une contre-civilisation, une civilisation non pas faite pour l’homme, mais qui prétend s’asservir l’homme, faire l’homme pour elle, à son image et à sa ressemblance (…) ».

Le dimanche est une résistance au temps, le jour où l’homme peut être vraiment lui-même, faire vraiment ce qu’il veut, ne rien faire s’il préfère, en tout cas ne plus être seulement un producteur et un consommateur de biens et de services.

Si « la liberté économique [qui] n’est qu’un élément de la liberté humaine (…) se rend autonome, [si] l’homme est considéré plus comme un producteur ou un consommateur de biens que comme un sujet qui produit et consomme pour vivre, alors elle perd sa juste relation avec la personne humaine et finit par l’aliéner et par l’opprimer » écrivait encore Jean-Paul II dans son encyclique sociale.

Et puis le dimanche c’est la famille réunie. La famille, ce « refuge contre l’adversité », cette « cellule de résistance à l’oppression, si forte et si bien constituée que la première tâche que les tyrannies totalitaires s’assignent est de la faire voler en éclats (…) » remarquait André Frossard dans son livre L’Homme en questions (Éditions Stock).

Et si refuser de voir une liberté dans le fait de pouvoir travailler le dimanche, c’était vouloir empêcher ce que constatait Bernanos, à savoir que « dans presque tous les pays, la démocratie » est « d’abord et avant tout une dictature économique » ?!